Parce que ce fut un miracle…

décembre 3rd, 2008 by Batiste

Il devait accompagner sa chef mais il était arrivé tout seul. Petite mallette noire, chaussures cirées et brun dégagé, il avait encore une fois accordé sa cravate avec la réunion : c’était une superbe bleu foncée sur laquelle se détachaient assez visiblement de grands flamands roses-pétards. Et comme il avait assorti le tout avec une chemise blanche à carreaux rouges, ceux qui étaient assis en face de lui ont cligné des yeux pendant toute la réunion.

La légende dirait que ce goût prononcé pour les cravates à nounours, à Droopy et à tambourins-et-castagnettes (je l’ai vue)  n’était pas dû à des enfants aveugles qui, adorant leur papa, le comblaient pour chaque fête des pères, anniversaire et noël, mais à une volonté de mettre un peu de bonheur dans les rues pluvieuses d’une capitale où la mode était au noir et blanc, et de gaité dans les réunions tendues.

Et la réunion allait être tendue.

“Chantal (nous l’appellerons Chantal) sera un peu en retard, elle vient en voiture et il pleut…”
Il avait dit ça avec une certaine désinvolture, et cette toute petite phrase du type “j’ai apporté un petit gâteau parce que j’ai mis une heure à trouver mes chaussettes…” toucha son auditoire :
“oui oui houlala, Paris en ce moment c’est vraiment galère en voiture”
“C’est comme ça tous les ans en décembre à cause que des courses pour noël (tu noteras lecteur que dans les réunion stratégiques, tout le monde n’est pas à la hauteur niveau syntaxe), et puis ça se calme du début Janvier à la fin Juin.”
“M’en parlez pas… Moi j’ai un cat’cat’, et si je roule pas sur les trottoirs j’arrive pas à l’heure à la maison pour regarder combien ça coûte…”
[...]

Une fois tous les participants accordés sur le modèle, la couleur et la taille des pneus de la voiture de Chantal, la réunion commença dans une atmosphère largement détendues par cette complicité soudaine. Les slides s’enchainaient sous le regard bienveillant des décideurs qui espéraient avec impatience la fin de la réunion qui marquerait le début du repas.
Chantal, elle, arriva une fois la réunion bien entamée. Il avait plu sur ses cheveux, et des goutes perlaient sur les verres de ses lunettes de presbyte… Elle s’installa dans un silence presque religieux, salua quelques unes de ses connaissances d’un petit sourire, et sortit sa mitraillette.

Le but de Chantal ? Flinguer le projet.
“J’l'aime pas Pascal (nous l’appellerons Pascal), il a de grosses dents, il est coiffé comme un pied, il mange ses crottes de nez, et surtout (surtout) on est pas issu de la même entité (très important lecteur les entités dans les grandes boites).” Chantal s’était réveillée en bredouillant ces paroles, ses rêves n’avaient été que piétinage de Pascal, et elle scandait des chansons d’Yves Duteil dans les bouchons sous la pluie pour se donner du courage…
Le projet, elle n’en avait que lu le titre dans un mail d’invitation, mais on lui avait demandé de venir pour donner son avis et elle était bien décidée à dire tout le mal qu’elle pensait de Pascal et de tout ce qu’il pouvait faire.

10 minutes plus tard, la tension était à son comble. Chantal attaquait sur tous les fronts : l’architecture préconisée, l’interconnexion avec les autres services, le plan de déploiement, l’analyse des risques… Tout !! Les questions tombaient comme des obus, entrecoupées de commentaires acerbes et de remarques condescendantes : “Parle plutôt dans le micro Pascal, je suis à côté de toi et je ne t’entends que trop bien… ce n’est pas la peine de me crier dans l’oreille pour que tout le monde puisse t’entendre”.
Les décideurs qui n’avaient commencé que par ouvrir un oeil étaient maintenant groupés derrière leur poulain le plus agressif. Pascal était en train de se faire flinguer sans autre forme de procès alors que le projet était nickel chrome (je le sais c’est moi qui avais tout fait :p) et que Chantal n’en avait pas lu une ligne…

Bien des années plus tard, quand l’histoire serait devenue légende et que la légende elle même serait devenue Mythe, il serait rapporté qu’à ce moment précis, dans une salle tout à coup envahie d’une lumière étourdissante et dans un rugissement presque inhumain, un consultant bondit de son siège avec la souplesse et la dextérité d’Asphalte Jungle, franchit sans que personne n’ait eu le temps de bouger l’espace qui le séparait de Chantal, lui éclata la gueule d’un coup de talon dans un petit bruit de bois de cagette, et, réajustant son costard dont la cravate n’avait pas tremblé… “Oui ? On en était à la validation des conclusions du projet non ?”.

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